COCAÏNE
Produits,
Origine, propriétés générales
La cocaïne est un
alcaloïde extrait de la feuille de l'arbre à coca.
Il existe au moins quatre espèces d'arbres à coca
dont le plus commun est Erythroxylum Coca Lam (1). Ces
arbres (il serait plus juste de parler d'arbustes de 1
m à 1,50 m) sont rencontrés partout le long de la
Cordillière des Andes, avec une prédominance en
Colombie et au Pérou, mais également au Brésil dans
la vallée de l'Amazonie.
La feuille vert foncé
de ces arbustes contient des alcaloïdes (de 0,5 à
3%) dont l'un est la cocaïne ; chez certaines espèces
la cocaïne est donc fort peu concentrée. Bien que
poussant à l'état sauvage, l'arbre à coca est
cultivé, généralement entre 500 et 1500 m
d'altitude en climat humide. Certaines espèces
acceptent la sécheresse. Il semblerait que la culture
soit également pratiquée à Java, à Ceylan, en
Inde, à Taiwan et en Indonésie. L'une des espèces
sert à aromatiser une boisson bien connue. La récolte
des feuilles a lieu 2, 3 ou 4 fois par an et produit
de 1 à 3 tonnes par hectare et ce, pendant 10 à 20
ans par plantation.
La cocaïne est
extraite de la feuille en trois étapes. La première
a lieu sur le site de production. Les feuilles hachées
sont mises à macérer dans l'eau et une base forte.
Un solvant organique est ajouté (essence, acétone, kérosène).
Les feuilles sont retirées et de l'acide sulfurique
est ajouté, permettant la dissolution des alcaloïdes
dans la phase aqueuse. Le solvant organique est éliminé
et la solution est alcalinisée entraînant la précipitation
des alcaloïdes. Cela donne une forme de cocaïne
connue sous le nom de "pâte à coca" (mélange
de nombreux alcaloïdes). De là, la pâte peut être
traitée pour obtenir de la "cocaïne base"
ou de la cocaïne cristalline (chlorhydrate de cocaïne)
(poudre blanche) (2). La pâte peut contenir de 1 à
40% d'impuretés. La pureté de la cocaïne saisie
varie de 60 à 90%. Il est possible de synthétiser la
cocaïne, mais cela demande des moyens importants.
La cocaïne peut être
administrée par mastication des feuilles (habitude séculaire),
mais cette façon de procéder aboutit à des taux
sanguins faibles (3). Le chlorhydrate est sniffé,
avec des quantités absorbées qui peuvent être de
l'ordre du gramme. Elle est utilisée comme anesthésique
de surface dans certaines chirurgies. Certains
toxicomanes se l'injecte par voie intraveineuse.
L'application sur les muqueuses (anales, vaginales)
est également une bonne voie d'absorption, ce qui
n'est pas vrai pour l'application cutanée.
La cocaïne peut être
fumée, l'inhalation étant une méthode
d'administration pour laquelle les pics de
concentration plasmatique atteints sont comparables à
ceux obtenus par voie intraveineuse. La pâte est fumée,
mais l'utilisation de crack (chlorhydrate de cocaïne
précipité à chaud en présence de bicarbonate de
soude) est plus populaire (4). Le nom de crack
(caillou) vient du bruit produit par le précipité
(petits agrégats solides) lorsqu'il est chauffé pour
être inhalé. L'absorption intestinale de la
substance étant bonne, le risque pris par les
trafiquants ingérant des boulettes (body packers) est
considérable (5). Bien évidemment la substance passe
la barrière foeto-placentaire de la mère vers son
foetus.
La cocaïne est un
anesthésique, une substance diminuant la faim (machée)
mais aussi sous ses diverses formes l'une des pires
substances toxicomanogènes existantes, largement
consommée dans certains pays.
Comme pour d'autres
substances, son trafic, sa détention et son usage
sont interdits par la loi 70-1320, modifiée par le
nouveau code de procédure pénale de 1994.
Elle figure sur la
liste couverte par la Convention des Stupéfiants de
l'ONU de 1961 et de Vienne (1971).
Historique
L'arbre à coca est
principalement localisé en Amérique du Sud, mais de
la cocaïne a été retrouvée dans des momies égyptiennes
agées de plus de 3 000 ans. Le premier contact
"moderne" avec la plante et les habitudes
millénaires de mastications des indiens, date de la
conquête des espagnols dans les années 1500. Ils
furent surpris du fait que les indiens consommaient
peu de nourriture et firent la relation avec ces
habitudes masticatoires (Monardes) (6). Pendant
longtemps, personne ne s'intéressa vraiment à la
coca, puis Hooker en 1835 publia un article contenant
une traduction d'un livre de Poeppig dans lequel ce
dernier comparait les masticateurs de feuilles aux
utilisateurs d'opium et mettait en garde contre
l'usage de coca. Ceci fut confirmé par Von Tschudi
(7), et celui-ci initia le processus qui devait mener
à l'isolement de la cocaïne par Niemann en 1860 (8).
Pendant douze ans le produit sombra dans l'oubli
jusqu'à ce qu'un article du Lancet décrive des
propriétés "stimulantes et narcotiques".
Le produit fut utilisé pour créer des boissons
stimulantes: le vin Mariani par exemple (9). Parke
Davis vendit un extrait semi-purifié en 1880 et
beaucoup de firmes pharmaceutiques l'utilisèrent
comme additif à nombre préparations.
En 1884, Freud publia
son fameux article sur la cocaïne "Über
Coca" (10). Köller découvrit ses propriétés
anesthésiques locales (11) (1884). La substance fut
recommandée pour traiter la dépendance à la
morphine (préparation "Theriaki"). Un an
après, les premiers cas d'effets toxiques furent
publiés et cela s'amplifia jusqu'au début des années
1900. Le premier article décrivant la modification
des myocytes fut publié en 1888 (12). Les techniques
de détection furent mises au point en 1887. Bien que
Freud signala par la suite que la cocaïne n'était
certainement pas la "substance merveilleuse"
qu'il avait cru pouvoir recommander, il fut vivement
critiqué (13), de nombreux décès survinrent suite
à la consommation de produit pur (poudre), que les
personnes dépendantes préfèraient aux préparations
du commerce.
De 1925 à 1975, peu de
choses furent rapportées. Les USA avait par deux fois
mis des restrictions (Pure food act 1906 et Harrison
Narcotic Act de 1914) mais l'utilisation fut réellement
freinée par l'apparition d'une autre catégorie de
substances toxicomanogènes : les amphétamines.
Depuis 1977, le trafic, l'utilisation et les décès
dus à l'utilisation de cocaïne sont en augmentation
constante (14).
Propriétés
pharmacologiques
La cocaïne est classée
parmi les sympathomimétiques indirects c'est à dire
les substances capables d'activer jusqu'à un certain
point ou de reproduire les signes d'activation du système
sympathique.
La cocaïne a une
demi-vie assez courte et est assez rapidement éliminée
de la circulation. La demi-vie est de l'ordre de 40
minutes (la littérature donne une fourchette de 18 à
190 minutes) (15). La clairance d'élimination est
d'environ 2 l/min pour un volume de distribution de
132 l (2 l/kg). Les estérases hépatiques et
pseudocholinestérases plasmatiques dégradent la cocaïne.En
l'absence d'alcool, ses métabolites principaux sont
la benzoylecgonine(BEG) et l'ecgonine methyl ester (EME).
Les demi-vies de ces substances sont plus longues (6 h
et 4 h) ce qui rend la détection de l'utilisation de
la substance encore possible après 24 h (16). En présence
d'alcool se forme un dérivé particulier, toxique, le
cocaéthylène(17).
C'est un
psychostimulant majeur, elle excite le système
nerveux central, particulièrement les centres nerveux
psychiques et sensoriels ; elle excite les centres
bulbaires. Elle peut entraîner des convulsions. C'est
un anesthésique local qui insensibilise les
terminaisons nerveuses, muqueuses et cutanées ; elle
coupe aussi la conduction dans les troncs nerveux. La
cocaïne a également un effet anorexigène.
Elle inhibe le
recaptage des catécholamines, deplétant leurs
stocks, principalement au niveau nerveux. Elle
potentialise leurs effets et inhibe les effets
d'autres sympathomimétiques indirects (amphétamine,
éphédrine). Elle provoque tachycardie (suivie de
bradycardie chez l'animal), hypertension,
vasoconstriction intense et mydriase. La libération
de norepinéphrine provenant des fuites synaptiques
dues à l'inhibition de recaptage ne peut expliquer
plus de 3% du taux circulant de cette hormone sous
imprégnation cocainique. L'élévation du taux de catécholamines
circulantes, sous cocaïne à une autre source : la
surrénale. Les effets de la cocaïne miment certains
effets de l'angiotensine II, hormone qui médie ceux
de la cocaïne (hypertension, vasoconstriction,
abolition du baroréflexe) (18).
Les propriétés
vasculaires et nerveuses de la cocaïne (hors effets
anesthésiques) sont bloquées par certains
inhibiteurs calciques, les inhibiteurs d'enzyme de
conversion (de l'angiotensine I en angiotensine II,
kininase 2) et par certains antagonistes des récepteurs
à l'angiotensine (19).
De nombreux dérivés
synthétiques sont utilisés médicalement comme
anesthésiques de surface et de conduction (lidocaïne,
procaïne, etc...).
C'est une substance
entrainant une forte dépendance (dépendance dont l'établissement
est associé à la forme consommée et au mode de
consommation. Elle produit des signes de sevrages
moins intenses que ceux produits par les opiacés,
mais une dépression et des signes d'irritabilité
peuvent s'installer.
La cocaïne est
lipophile et traverse facilement la barrière hématoencéphalique.
Elle se fixe sur de nombreux sites (récepteurs ?)
dans le système nerveux central, mais aussi dans le
coeur, dans le foie, les reins, les surrénales (20,
21). Elle passe également dans le lait des mères
allaitantes. Il a été décrit une fixation directe
sur les récepteurs à la dopamine.
Propriétés
toxicologiques et effets adverses
Les effets toxiques
sont principalement liés à la dérégulation du
fonctionnement du système sympathique. Il a été dit
et écrit, et cela se produit encore régulièrement(22),
que les effets toxiques de la cocaïne étaient dus à
la perturbation du métabolisme des catécholamines.
Ceci n'est que très partiellement vrai, le système rénine-angiotensine
étant également perturbé de façon majeure. Il vaut
donc mieux appréhender la toxicité de la cocaïne de
façon globale par une dérégulation générale du
système sympathique, ou de systèmes interférant
avec ce dernier.
La cocaïne provoque
des ischémies généralisées, entraînant
convulsions et infarctus du myocarde, des
hypertensions massives favorisant la survenue de défaillances
cardiovasculaires. Au niveau tissulaire des nécroses
sont retrouvés ainsi que des signes de surcharge
cellulaire en calcium (23, 24). Les décès peuvent
survenir en quelques minutes. Quelquefois, un oedème
pulmonaire est associé. Des hypertrophies
ventriculaires gauches sont courantes, ainsi que des lésions
des valvules et vaisseaux. Il est couramment observé
les atteintes suivantes :
- des crises épileptiques,
convulsions, agitations avec délire, syndrome
neuroleptique malin (25),
- désordres
neurologiques et psychiatriques (paranoïa) (26),
- attaques cérébrales,
hémorragies cérébrales (27),
- des sclérodermies
(28),
- des atteintes
pulmonaires, infections, inflammations, atteintes
vasculaires, bronchiolites, barotraumas (29),
- atteintes du
parenchyme, atteintes gastrointestinales (ischémiques)
(30),
- atteintes hépatiques
(nécroses) (31),
- atteintes rénales
(infarctus, nécroses) (32),
- atteintes sanguines
(effets plaquettaires), altérations hormonales
(33),
- atteintes
immunitaires, certainement d'origine centrale
(34).
D'autres signes
existent :
- perforation du
septum nasal (sniffage entraînant la nécrose de
la cloison) (35),
- trace des injections
(dues aux contaminants comme pour l'héroïne),
- kératites (dues au
fait que l'anesthésie de la cornée provoquée
par les fumées de crack fait supporter des
traumatismes ou corps étrangers qui sinon,
seraient douloureux) (36),
- érosion dentaire.
Bien que la placenta
protège partiellement le foetus par son activité
cholinestérasique, les concentrations chez le foetus
peuvent être supérieures à celles observées chez
sa mère. D'autre part, la génération de BEG est
beaucoup plus faible chez le foetus, ce qui explique
peut être les taux importants de cocaïne retrouvés
dans les jours qui suivent la naissance (déstockage
?). Il a été montré un poids de naissance plus
faible que la normale et des pertes de foetus par hémorragie
rétroplacentaire (37).
Les overdoses et morts
brutales sont dues à deux causes : effets anesthésiques
de la substance chez des sujets naifs, ou mort par
activation brutale du système sympathique avec
convulsions et/ou défaillance cardiaque. Les
convulsions peuvent être contrôlées avec du
Diazepam ; la défaillance cardiaque doit être traitée
par inhibiteur calcique (Nitrendipine, Nicardipine,
Nifedipine, Diltiazem, Flunarizine) éventuellement
par la Nimodipine et en aucun cas par le Vérapamil ou
équivalent. Les inhibiteurs d'enzyme de conversion
sont également efficaces mais d'action lente. Il ne
faut jamais employer : les béta-bloquants, les
alpha-bloquants ou combinaison mixte alpha-beta. Ces
molécules sont inefficaces, ou seulement
partiellement efficaces, elles potentialisent les
effets délétères de certaines catécholamines et
n'entravent pas ou peu les effets dûs à
l'Angiotensine II. L'administration de dérivés nitrés
est discutée, mais discutable, car elle ne peut
constituer un traitement unique comme dans le cas des
anticalciques (38, 39).
Considérations
générales
La cocaïne est une
substance qui est variablement répandue en fonction
des pays et des classes consommatrices, elle est
longtemps restée la drogue des milieux aisées tant
en Europe qu'aux Etats-Unis. Aux USA, dès 1986 avec
l'apparition du crack, vendu à très bas prix, elle
est devenue la drogue des classes défavorisées voire
très défavorisées. L'épidémie est restée
contenue en Europe, mais le fait que les USA
durcissent leur position et qu'elle constitue une
drogue refuge pour certains toxicomanes à l'héroïne
traités par méthadone, est inquiétant. C'est la
première substance vendue à très bas prix
(politique du supermarché) par les trafiquants et
revendeurs, phénomène qui invalide la théorie des légalisateurs
(drogue de qualité, contrôlée par l'état, à bas
prix). Elle touche dans les pays consommateurs, des
enfants de 4 à 5 ans et des signes cliniques graves
ont été décrits chez des nourissons fumeurs passifs
de crack.
Pour toute observation
ou question concernant ce texte ou la cocaïne,
envoyez un message électronique à l¹adresse
suivante : toxidop@ibt.univ-angers.fr
Conclusion
La cocaïne est une
substance entraînant une forte dépendance, très répandue
et utilisée à diverses fins. Sa consommation entraîne
des signes très variés, allant des états paranoïaques
à la mort par overdose. Les accidents sont devenus très
courant particulièrement en Amérique du Nord et du
Sud. Elle doit être considérée comme un intoxicant
majeur, contrairement à l'opinion largement répandue
depuis quelques années.